“À la base moi c’est pas le Wax mon chéri mais le Bogolan.” Perrine Bah Yabi, gérante de WUA LABoutique. 3/6
3e partie de l’Interview très enrichissante de Perrine Bah Yabi , gérante de WUA LABoutique à Genève. 3/6
KAM : En gros, c’est vrai que les Néerlandais l’ont fabriqué mais ce sont les femmes Africaines qui en ont été les revendeuses et qui l’on rendu populaire tout en faisant du Wax un tissu prestigieux dans le cœur des Africain(e)s et pas seulement. Aujourd’hui le Wax est porté partout dans le monde. Et je pense que si tout le monde aime le Wax c’est grâce à ces femmes. Et je comprends pourquoi tu veux entendre que le Wax est africain. C’est aussi une manière de rendre hommage au savoir-faire commercial de nos mamans. Personnellement je sais que ma grande-mère a légué à ses filles des pagnes Wax. Et je ne te cache pas que je suis en admiration devant les Nana Benz. Je trouve que c’est fort. Et qu’on devrait s’en inspirer.
Comment elles ont procédé pour le populariser ? Est-ce que tu pourrais me donner des exemples concrets ?
Perrine Bah Yabi : Il est important de nommer les sources de tout analyse. Mes sources de réflexion sur le wax et toutes ses acteurs, comme ces talentueuses commerçantes africaines, sont les suivantes:
la première, en ayant depuis très jeune beaucoup observée sur le terrain, au cœur des marchés africains la stratégie des femmes, je pourrais rester ma vie dans les marchés, je me sens comme poisson dans l’eau, leur rythme, leur organisation, tout est incroyable à analyser! Et ma deuxième source c’est Anne! Grâce au Dr. Anne Grosfilley, anthropologue spécialisée dans le textile et la mode en Afrique, ma vision s’est enrichie. Elle est un véritable mentor et au fil du temps est devenue une amie de cœur. j’ai beaucoup appris auprès d’elle. Elle est à ce jour la référence mondiale en la matière, elle a consacré sa vie à sa passion, aux textiles d’Afrique. Son œuvre, son travail et ses ouvrages sont exceptionnels.
Pour revenir au Nana Benz, elles ont fait naître une relation, un langage non-verbal entre les femmes Africaines et le pagne Wax en leur donnant vie, en leur donnant de la prestance.
« La réussite des Nana Benz repose sur leur capacité à vendre d’importants volumes, et donc à rendre leurs wax les plus désirables. A cette fin, elles ont développé une technique de vente particulière qui consiste à dénommer les dessins. » Extrait du livre Wax&Co, anthologie des tissus imprimés d’Afrique (Anne Grosfilley, 2017)
Elles ont très vites discerné les modèles les plus appréciés ou susceptibles d’être appréciés par leur clientèle parmi les milliers de modèles qui leur étaient proposés. puis leur ont donné un nom. Selon les pays, le même design peut porter différents noms. Des noms qui correspondent au quotidien, à l’actualité Africaine. Avec des tissus tels que « chéri ne me tourne pas le dos» , « fleurs de mariage » ou encore « même l’argent s’envole» … Ses modèles sont devenus des best-sellers dans toute l’Afrique. Le modèle “même l’oiseau s’envole” dessiné pourtant en 1949 est de nos jours un dessin très populaire et utilisé par les créateurs à travers le globe.

“Même l’argent s’envole”. disponible sur waxupafrica.com
Et aussi elles ont montré et acquis des qualités inouïes pour le commerce, en un laps de temps la plupart d’entre elles sont passées de simple vendeuses à revendeuses puis à d’importantes grossistes.
Kam: Des pratiques qu’on apprend aujourd’hui dans les écoles de commerces. Adapter le produit à sa clientèle. du vrai marketing terrain.
Perrine Bah Yabi : (sourire) oui tout à fait! Et elles ont aussi adapté la stratégie de la cadence… je ne dévoilerais pas tout leur secret, mais à mes yeux c’est elles qui ont fait le Wax, il est devenu un tissu africain grâce aux talents de nos mères.
Deuxième élément concret qu’on oublie souvent de mentionner, c’est le rôle des artisans couturiers, des tailleurs. Au pays il y a d’excellents tailleurs qui ont aussi joué un grand rôle dans l’histoire du Wax.
Parce que le tissu il arrive brut mais après il faut le « mettre en scène » (sourire) en faire des vêtements, des robes des costumes etc… Les artisans Africains principalement les couturiers ont fait preuve de génie créatif pour produire des modèles avec ce nouveau tissu venu d’ailleurs.
Et troisième élément qu’on oublie aussi, c’est que ce sont les Africains qui ont mis le Wax en valeur en le portant. je ne suis peut-être pas objective… Mon jugement est peut être faussé par un excès d’africanisme (rire) mais je n’ai jamais vu quelqu’un mieux porter le Wax que les Africains! Ah oui, à l’exception de ma maman, disons que c’est une exception qui confirme la règle! (sourire)
Les Africains ont ce truc… lorsqu’un(e) Africain(e) porte un bijou ou une parure c’est beau. Il/elle a une élégance, c’est affirmé, c’est sublimé, ça donne envie.
Alors quand l’Africain a commencé à porter de belles chemises en Wax ça été la cerise sur le gâteau pour le Wax. C’est ça qui a donné au Wax son cachet.
Quand tu vois un Occidental porter du wax ce n’est pas aussi “wow” que quand tu vois un Africain porter une chemise en Wax. (rire bienveillant, rien de méchant)
Kam : Pour récapituler, c’est le talent commercial des femmes grossistes, le savoir-faire des couturiers et l’élégance des Africain(e)s qui ont favorisé le succès du Wax.
Perrine Bah Yabi : C’est ça. En tout cas pour moi (sourire) On s’est appropriés ce tissu et on en a fait le nôtre. On nous l’a imposé au départ c’est vrai mais au lieu de le subir, on la sublimé et on en a fait sa dimension mondiale, il doit nous revenir!
Kam : La seule problématique, c’est qu’il n’est pas produit en Afrique mais en Hollande.
Perrine Bah Yabi : “N’était” pas produit en Afrique. A nouveau remettons nous dans le contexte historique. Nous voilà à l’heure de indépendance ghanéenne et devant le succès de ce tissu dans le cœur des populations d’Afrique de l’Ouest – oui précisons de l’Ouest – car là on discute, on est entre nous alors on utilise le terme « Africain » car on se comprend, mais il est important de préciser pour ceux qui liront que le Wax n’est pas présent dans les 54 pays que comporte le continent africain, il est majoritairement présent en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale. Il n’est donc pas porté par tous les Africains, ça aussi ça mérite une autre interview (rire)
Revenons à notre ère de l’indépendance, peu de temps après, les industries ont très vite compris l’opportunité économique et stratégique d’implanter une industrie textile sur le continent, notamment a partir de 1960 quand le président du Ghana, Kwame Nkrumah fait grimper les droits de douane et ouvre les premières usines locales. D’autres pays suivront le chemin de ce développement industriel du textile africain, je pense notamment à la Côte d’Ivoire.
KAM : Est-ce que tu veux dire que le fait que l’Afrique soit le premier consommateur de ce tissu lui donne le droit de s’approprier ce tissu peu importe son histoire ?
Perrine Bah Yabi : Non au fait ce que je veux dire c’est qu’il faut faire la part des choses entre l’émotionnel et la réalité commerciale. Quand j’entends que le wax est un produit de la colonisation, j’ai besoin d’entendre la version du lion, c’est mon souhait pour avancer sereinement…
Et au delà de son Histoire, c’est l’Africain qui a fait que le wax est devenu un tissu emblématique. Peu importe où tu te trouves dans le monde quand tu vois quelqu’un porter du wax ça te fait penser à l’Afrique. C’est un fait.
Maintenant, ce tissu n’est pas issu majoritairement d’une industrie africaine c’est aussi un fait. Mais ce challenge est politique. Il faut être optimiste. On a des personnalités qui ont montré l’exemple, je pense à N’krumah. Il s’est dit “ok. on ne va pas dire non à ce tissu. même s’il est produit à l’étranger le commerce du Wax est porteur d’emplois. Il y a un commerce où nous sommes en position de force car nous sommes les principaux acheteurs. Au lieu de le boycotter, on va faire en sorte qu’il profite au pays.”
C’est dans la continuité du combat de nos devanciers que s’inscrit Wax’up Africa.
Tous nos tissus (Wax, bogolan, tissages, indigo,…) proviennent exclusivement des usines ou d’ateliers installées sur le continent Africain. il y a un acte militant dans le choix de nos fournisseurs. Nous voulons donner de la force à l’industrie et à l’artisanat Africain.
Kam : Même si ses usines sont des filiales de grands groupes étrangers de wax ?
Des filiales qui emploient des milliers de personnes sur le continent. Les gens peuvent dire ce qu’ils veulent, c’est facile de critiquer, mais derrière ces filiales, il y a tout un secteur économique Africain qui en vit.
Kam : Moi je pense personnellement qu’à partir du moment où un business nourrit un Africain alors ce business mérite d’être protégé, exploité, plutôt que d’essayer de dénigrer ce business. Si le problème c’est la production du wax pourquoi est-ce qu’on ne travaille pas à avoir plus d’usine de fabrication de Wax sur le continent Africain ?
Perrine Bah Yabi : Je vais te dire, Moi ce qui me crève le cœur c’est que c’est au moment où le wax est autant à la mode que certains commencent à dire ” ce n’est pas pour nous”.
Kam : Très souvent ce sont nos frères et sœurs qui sont les premiers à le dire. ( Rire )
Perrine Bah Yabi : (soupir) Et pendant qu’on débat et perdons notre énergie là-dedans, les Chinois eux produisent et vendent! Ils doivent même se réjouir qu’on se perde dans ce débat, ils gagnent du temps…
Kam : Le principal argument des détracteurs du wax c’est qu’il n’est pas fabriqué en Afrique.
Perrine Bah Yabi : Ce n’est pas vrai de dire que ce n’est pas fait en Afrique, si, justement, il y a encore 5% de la production fabriqué en Afrique!! C’est de ça que je parlais au début en disant que lorsqu’on n’a pas tous les éléments l’analyse est biaisée.
Oui oui, Il y a du wax made in Africa! Même si malheureusement la production africaine représente qu’une infime partie de part de marché et est rare à trouver car concurrencé par le wax chinois qui coûte moins cher et plus facile d’accès. Mais il y a encore une industrie du wax en Afrique qu’il faut absolument soutenir. Et dire à tout va que le wax n’est pas Africain n’aide pas cette industrie Africaine dans sa globalité, ça va au delà du Wax…
Kam : N’as-tu pas peur que l’industrie du wax écrase le marché du tissu artisanal ?
Perrine Bah Yabi : Écoute je vais te faire une confidence. À la base moi c’est pas le Wax mon chéri mais le Bogolan. Le Bogolan c’est mon tissu africain par excellence, on refera une interview et je te narrais la magie de ce tissu. Mais revenons au Wax, soutenir l’industrie africaine est très importante. Je suis pour que l’industrie et l’artisanat marchent main dans la main comme des frères et sœurs. Car en vérité l’un ne va pas sans l’autre. C’est ensemble qu’on sera fort, visible et puissant. On ne va pas se diviser (sourire).
Les détracteurs du wax veulent peut-être qu’on arrête de consommer du Wax et qu’on ferme les usines pour qu’on s’intéresse aux tissus artisanaux. C’est de l’émotion tout ça. Il ne faut pas tout mélanger!!
Nous ne pouvons pas être concurrentiel sur le marché du textile en produisant que des tissus artisanaux. Et ça dénaturait la valeur de notre artisanat, Il faut donner de la force à nos industries. Parce que l’industrie textile est une réalité. Et je crois vraiment que nous pouvons changer les choses en consommant du wax ou n’importe quel produit fabriqué en Afrique. En utilisant notre pouvoir d’achat que pour des produits « made in Africa », Il faut être vraiment dans cette démarche de consommer africain.
Ceci devrait être notre motivation première. L’industrialisation du continent est un challenge. Nous devons penser une industrie nouvelle non calquée sur l’Occident mais basée sur l’analyse de nos experts, de notre faune et flore, une industrie cohérente qui nous ressemble. Il est plus que l’heure de donner la force à cette industrie actuelle pour qu’elle ne meurt pas et qu’elle puisse encourager la génération émergente.
Kam : la fermeture d’une usine n’est jamais une bonne chose.
Chez “WUA LABoutique” nous prônons une consommation africaine dans tout et à tous les niveaux. Que ce soit du wax, du papier, du pain, des médicaments ou un vélo. même si certains me diront que le vélo n’est pas africain, si c’est fabriqué à Yopougon moi ça m’intéresse de l’acheter. Parce qu’en achetant ce vélo fabriqué à Yopougon je donne de la force à une industrie ivoirienne. Pareil pour l’artisanat si riche en Afrique, nous donnons de la force à de nombreux textiles (aux pagnes tissés, indigo, batik….) nous en vendons d’ailleurs à WUA LABoutique. De très beaux tissus mais dans la réalité le Wax s’écoule plus que les autres tissus, il y a une demande plus importante
Kam : pour une passionnée d’artisanat est ce que ce constat te chagrine ?
Perrine Bah Yabi : Le client est roi. C’est le commerce, il faut mettre de côté l’émotion et répondre à la demande. C’est du commerce. sinon on perd des parts de marché au profit des Chinois. Je le répète, à l’heure où on se chamaille la Chine se frotte les mains.
Donc pour moi le wax est aussi un moyen d’avoir de la visibilité, de porter de la voix. il ouvre le débat et ce n’est jamais mauvais. Je rêve d’un wax africain produit, consommé et reconnu comme tel alors je le manifeste dans l’Univers (sourire) Il est très important qu’on se le re-approprie. Peu importe ses origines peu importe l’histoire, en 2020 le Wax est Africain un point c’est tout (éclat de rire)
Kam : En parlant d’histoire quelle place tu accordes à l’histoire dans ta vie de tous les jours ? Aujourd’hui, on entend beaucoup de “vérités” sur l’histoire Africaine. comment vis tu avec ça ?
fin de la troisieme partie
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