“Pourquoi le Wax est africain et pourquoi j’ai besoin d’entendre qu’il est africain.” Interview de Perrine Bah Yabi gérante du magasin “WUA Laboutique”. 2/6
KAM: Tu penses quoi de l’africanité ?
Perrine Bah Yabi : Je pense que c’est N’krumah qui disait “tu n’es pas africain parce que tu es né en Afrique mais parce que l’Afrique est né en toi”. Mon père est camerounais ma mère est français je suis née en Suisse j’ai pas mal voyagé entre les deux continents. Cette phrase me parle beaucoup en tant que métisse. Pour moi l’africanité est un état d’esprit. Quelque chose qui vibre en nous. Ce n’est pas quelque chose que l’on choisit forcément. Il y a des gens qui vont plus vivre leur africanité à Bordeaux en France qu’à Abidjan en Côte d’Ivoire.
L’africanité c’est quelque chose de très fort qui une fois qu’elle te touche, qu’elle s’intègre en toi et une fois que tu la comprends et que tu la saisis, normalement tu ne t’en dissocies plus.
L’africanité c’est aussi une manière de voir le monde, de voir comment il avance avec toujours à l’esprit que l’Afrique c’est la racine, c’est la terre mère. Donc l’africanité c’est vraiment avancer, affronter la vie en étant bien ancré à cette réalité, a notre réalité Africaine. Ainsi peu importe où tu vas, peu importe où tu te trouves, c’est comme une valeur sûre, une force sur laquelle tu peux t’appuyer. Moi je suis une AFRICAINE, mon africanité je la vis à 400% et je n’ai aucun complexe à te le dire en tant que métisse.
kAM : Penses-tu que le fait que tu sois né hors d’Afrique a une influence sur ton envie de revendiquer ton africanité.
PERRINE : Je pense que oui. Quelqu’un qui est né sur le continent ne se pose pas des questions sur son identité africaine, il la vie tout simplement.
Par contre pour la métisse ou la personne noire afropéenne qui est né en Europe, un moment donné que tu le veuilles ou pas tu te poses des questions sur ton identité et cette africanité est mise à l’épreuve par le regard des autres.
Nous on a la chance ou la malchance selon certains de pouvoir voyager. Donc on peut voir le regard que portent les autres sur notre culture, sur notre histoire, sur notre continent.
KAM : c’est très juste ce que tu dis. C’est hors du continent Africain qu’on se rend compte qu’on est noir. Il y a une sorte de condescendance sociétale envers notre culture qui est difficilement supportable.
PERRINE : Notre rapport à l’Afrique est différent. chaque personne à son expérience par rapport à son lien avec l’Afrique. Soit un lien de sang ou de cœur. Je sais que grâce à mes parents depuis ma plus tendre enfance, on retournait au Cameroun au moins une fois par an.
Je suis très reconnaissante envers mes parents pour cela. Grâce à eux, grâce à ses voyages, même si je ne suis pas née au Cameroun, j’ai toujours gardé une vision très saine de l’Afrique. Ils m’ont permis de voir de mes propres yeux, de subir la différence entre la Suisse et le Cameroun. Les problèmes d’électricité, les problèmes d’eaux, les problèmes de corruption… vraiment des difficultés africaines qu’on n’a pas forcément conscience en Europe. Mais pourtant depuis toute petite j’ai vu toute sa grandeur toute sa puissance et toute sa richesse humaine. j’ai très vite compris la richesse de son sol. J’ai très vite compris qu’elle était forte mais qu’elle a été biaisée ou abusée par d’autres. On entend beaucoup de préjugés au sujet de l’Afrique. Des préjugés qui contrastent avec ce que toi ou moi on sait de notre continent.
Personnellement j’ai toujours défendu la cause. toujours expliquer la réalité, toujours essayer de changer le regard des gens lorsqu’il s’agit de notre continent. Tu sais l’ignorance fait que les gens n’ont pas forcément les bonnes lunettes pour juger. Alors c’est à nous de leur expliquer la réalité. Encore en 2020 lorsque tu dis à quelqu’un que tu reviens du Cameroun par exemple, il te demande si tu as vu des lions. Et c’est peut-être la première question qu’il te posera. Le paradoxe est tellement grand. ( Rire)
J’aime cette anecdote de ma fille Elidja, ( 13 ans cette année ) elle est née ici et a aussi la chance comme moi d’aller en Guinée et au Cameroun.
Un jour après l’école elle me demande:
maman l’Afrique c’est pauvre ou l’Afrique c’est riche?
Je lui dis mais pourquoi tu te poses la question? Elle me dit non réponds-moi.
Je lui dis que l’Afrique est immensément riche.
Elle dit non mais à l’école ils ont dit que l’Afrique c’est pauvre. ( Rire )
Donc voilà, déjà ça va l’éveiller sur quelque chose. elle va se poser la question de savoir pourquoi elle qui a vu un continent riche, arrivée ici en Europe on lui dit que c’est un continent pauvre. déjà ça ouvre une vision et là elle va pouvoir répondre et en répondant avec ce qu’elle maîtrise, ce qu’elle connaît elle va déjà expérimenter cette africanité sans forcément l’avoir choisi.
KAM : WUA LABoutique, ça représente quoi pour toi ?
PERRINE : WUA c’est une utopie qui commence seulement à être palpable. C’est l’acronyme de “Wax’up Africa” un projet qui a vu le jour en 2013…
KAM : WUA peut être considéré comme le cheminement de Wax’up Africa, des stands jusqu’ici 32 rue des grottes Genève ?
PERRINE : Non en fait si tu veux WUA c’est le collectif, Wax’up Africa c’est la marque. Notre message c’est le made in Africa. Reconnaître la compétence et le savoir-faire de l’Afrique. Mettre en lumière l’industrie Africaine. C’est très important parce qu’on parle beaucoup de l’artisanat Africain mais on oublie qu’il y a une industrie Africaine qui existe.
KAM : justement en parlant d’industrie Africaine, il est souvent reproché au wax de ne pas être un produit Africain. Et de ne pas profiter aux Africains. Qu’est-ce que tu penses de cela ? En tant que passionnée, en tant que businesswoman, qu’est-ce qu’il en est réellement du business du wax ?
PERRINE : Écoutes, nous c’est “Wax’up Africa”. On a une vision globale. On a commencé avec le Wax, ce tissu que j’aime énormément et que je respecte beaucoup. C’est grâce à cette aventure avec “Wax’up Africa” que j’ai pu mieux cerner le sujet et ainsi connaître ses zones d’ombre et ses zones de lumières.
C’est un tissu qui est très intéressant. Raison pour laquelle il anime autant les débats. Sous prétexte de parler du Wax on peut parler de beaucoup de choses au fait. Moi personnellement après sept ans de revente de Wax et de mise en valeur des pagnes Wax, je pense qu’il est très important avant de parler ou d’engager le débat sur ce sujet de le maîtriser. C’est pareil pour tous les sujets. Je vois des gens qui débattent en mélangeant tout. Ils ont des éléments mais pas tous les éléments donc c’est vite biaisé.
Non seulement pour moi le Wax c’est africain ( sourire ) et plus j’ai besoin de l’entendre et je vais t’expliquer pourquoi, mais aussi, le Wax c’est la rencontre des cultures.
Première chose, je fais très vite la différence entre le Wax made in Africa et le Wax chinois. Le Wax chinois c’est quelque chose avec lequel je suis très radicale, je pense que ça ne rapporte rien à l’Afrique et devrait être éradiqué.
C’est quelque chose contre lequel on a beaucoup milité chez Wax’up Africa avec Caroline et on continue de le faire.
Pourquoi le Wax est africain et pourquoi j’ai besoin d’entendre qu’il est africain, parce que aujourd’hui à l’heure où commercialement, peu importe ce qu’on dit, il y a une demande, le Wax a du succès aujourd’hui. J’aimerais que les bénéfices de cette demande puissent revenir à celles où ceux qui lui ont donné sa lumière. Et aujourd’hui peu importe le débat quelqu’un qui voit du Wax en 2020 pense à l’Afrique. Il ne pense pas à la Hollande encore moins à la Chine. Qu’on soit d’accord ou pas.
KAM : C’est une évidence.
PERRINE : Reprenons depuis la genèse c’est très important pour comprendre pourquoi je dis que le wax est africain.
À la base le Wax vient du batik indonésien qui est un tissu artisanal et ce sont les Néerlandais, après plus de 10 ans d’études ont réussi à trouver la technique d’industrialisation du batik.
On est dans un contexte qui appartient à l’histoire, narrer les faits est une dimension autre que narrer ce qui nous déplaît. La Hollande en conquérant veut industrialiser ce tissu et s’emparer du marché indonésien. Après 10 années d’études donc, le Wax sort, et les Néerlandais qui veulent le marché indonésien vont tenter de le vendre là-bas sauf que le batik industriel ne marche pas en Indonésie, flop total.
Voilà que ces industriels se retrouvent donc avec plus de 10 ans d’expertise, une industrie qui est implantée, et un tissu qu’il faut écouler. Impossible de le vendre il leur faut trouver un autre axe de distribution.
C’est ainsi qu’ils vont essayer en Afrique de l’ouest et ça va prendre. Les populations aiment ce tissu. C’est là que je parle de rencontre des cultures. Même si la période et la méthode nous déplaisent . C’est là que je parle de rencontre des cultures. On a une industrie Européenne, une inspiration Indonésienne et un marché Africain.
Oublions un moment l’émotion et parlons juste business. C’est du commerce. On est dans une époque où les dominants veulent faire du commerce, donc la Hollande dans un contexte colonial s’est dit : on va vendre ce tissu en Afrique. Mais comment ?
C’est là que je dis avoir besoin de rendre le Wax à l’Africain. Parce qu’ on oublie souvent ceux grâce a qui le Wax doit sa réussite commerciale en Afrique contrairement a son flop sur le marché indonésien. Celles et ceux qui vont lui donner sa place, le commercialiser et le faire renter dans les habitudes vestimentaires des Africains. Et ça on oublie très souvent de le mentionner.
KAM : Elles ont été leurs commerciales ?
PERRINE : Exactement. Ce sont les femmes par leurs génies dans la vente, la façon dont elles l’ont commercialisé, elles ont réussi à en faire la promotion et elle ont aussi réussi à bien les écouler. Les femmes Africaines ont été determinantes pour cette industrie Hollandaise.
Ce ne sont pas les Néerlandais qui ont réussi à le populariser en Afrique mais bien des femmes. Sans ses femmes on ne porterait pas de Wax aujourd’hui. Ce sont nos mamans qui ont réussi à faire rentrer le Wax dans notre culture. Voilà pourquoi selon moi le Wax est africain. Parce que ce sont les femmes Africaines qui l’ont mis en lumière.
Qu’on soit d’accord ou pas ce sont les faits. C’est important de rapporter les faits historiques comme base de réflexion. On m’a appris à toujours remettre les éléments dans leur contexte pour que l’analyse ne soit pas biaisée.
C’est comme les histoires de chasse. On dit que tant que les lions n’auront pas leurs historiens, les histoires de chasse glorifieront toujours les chasseurs! C’est une importante vérité. Je veux narrer l’histoire du wax en glorifiant nos mères.
Avec le Wax c’est pareil C’est très important de faire la différence entre l’émotionnel et les faits. Les gens sont en colère parce que à l’origine ce sont les Néerlandais qui l’ont ramené en Afrique. Oui mais ce ne sont pas les Néerlandais qui le vendaient sur le terrain. Ok on peut ressentir une certaine forme de colère, que je comprends et que je partage. Mais les faits sont là. et je prône une narration de l’histoire du Wax par la glorification du génie commercial de nos mamans.
KAM : L’industrie du Wax fait vivre beaucoup d’Africain(e)s ?
PERRINE : Absolument. Et ce commerce devrait rapporter majoritairement aux Africains ce qui n’est malheureusement pas le cas comme dans plusieurs autres secteurs d’activité. Mais j’ai espoir, malgré l’invasion du wax chinois sur le marché, on constate des mesures encourageantes prises par certains gouvernements notamment le gouvernement Ghanéen qui investit beaucoup dans l’industrialisation du wax made in Ghana. Et n’oublions pas les commerçantes et toute la filiale qui en découle. Les Nana Benz par exemple, grossistes de tissus, de grandes commerçantes qui ont construit leur fortune grace à leur talent de commercial en vendant ce tissu.
KAM : En gros, c’est vrai que les Néerlandais l’ont fabriqué mais ce sont les femmes Africaines qui leur ont appris à le vendre et le rendre populaire tout en faisant du Wax un tissu prestigieux dans le cœur des Africain(e)s et pas qu’eux. Aujourd’hui le Wax est porté partout dans le monde. Et je pense que si tout le monde aime le Wax c’est grâce à ses femmes. Et je comprends pourquoi tu veux entendre que le Wax est africain. C’est aussi une manière de rendre hommage au savoir-faire commercial de nos mamans. Personnellement je sais que ma grande mère a légué à ses filles des pagnes Wax. Et je ne te cache pas que je suis en admiration devant les Nana Benz. Je trouve que c’est fort. Et qu’on devrait s’en inspirer.
Comment elles ont procédé pour le populariser ? Est-ce que tu pourrais me donner des exemples concrets ?
Fin de la deuxième partie de l’interview. la suite demain matin.